Suggéré par Virginie
Temps de lecture : 8 min

Madame Quitterie Marquèz, Architecte de Bâtiments de France en Ariège.

Comment jugez-vous de ce qui doit être préservé ou non ?

En terme de préservation, le ministère de la culture active les outils de protection définis par le code du patrimoine. Il peut s’agir d’une protection de monument par inscription ou par classement, mais aussi d’une attention particulière portée aux abords de ces édifices et, par exemple, la mise en place d’un Site patrimonial remarquable (SPR) comme à Pamiers.

Sur un monument, l’intérêt patrimonial est évalué en fonction notamment de sa qualité architecturale ou artistique, son authenticité, son intégrité, sa rareté, son exemplarité, sa représentativité par rapport à un corpus ou à un type.

Pamiers compte neufs monuments historiques protégés. Ils ne sont n’est pas « seuls » dans l’espace urbain. En effet, leurs abords contribuent grandement à les valoriser car ils y sont intimement liés, de par l’histoire et l’évolution de la ville. Aussi, le SPR et son règlement « Aire de valorisation de patrimoine et de l’architecture (AVAP) » sont établis sur un diagnostic très poussé de l’ensemble urbain et paysager. Il comprend de longues recherches et une analyse précise du bâti au sens large, des espaces publics et de tout ce qui compose le cadre de vie des appaméens.

A Pamiers, cette étude a permis d’identifier ce qui doit être préservé pour des questions de qualité architecturale, d’ornementation, de cohérence d’ensemble, etc. mais aussi ce qui altère la qualité de l’espace et qui peut ou pourra ne pas être conservé.

Nous apprécions ce qui doit être préservé en estimant ce qui, en cas de non préservation, affecterait de façon irrémédiable la qualité des rues, des places et des constructions.

Notre objectif est d’encadrer l’évolution de Pamiers en garantissant le maintien de ce qui compose son âme et l’esprit de ses lieux, tout en travaillant sur deux axes principaux :  éviter de porter atteinte au patrimoine existant lorsqu’il a conservé ses atouts jusqu’à aujourd’hui et proposer tous les outils pour le mettre en valeur.  

Comment qualifiez-vous le patrimoine appaméen ?

Il est foisonnant et assez diversifié, à l’image de son histoire qui résonne ne serait-ce que dans certains noms; le Castella pour l’ancienne place forte du castrum dominant la ville, le Mercadal pourle lieu majeur des premiers échanges commerciaux, Saint-Antonin nommant la cathédrale du département. Pamiers, c’est aussi son activité industrielle en lien avec la métallurgie, façonnant la ville sur son flanc Ouest et accélérant son urbanisation au fil du temps.

Sur une base de trois édifices majeurs (château, église, abbaye) Pamiers a traversé les âges avec un premier essor urbain au XIII°s, se poursuivant plus tard par le franchissement de l’emprise foncière construite à l’extérieur des canaux. Le centre historique est relativement bien préservé dans son tissu urbain (trame et parcellaire) au sein duquel se retrouvent presque tous ses monuments historiques ou constructions méritant une attention particulière, comme l’hôtel de la Providence par exemple.

En poste depuis moins de deux ans, la première impression donnée par Pamiers à mon arrivée fût l’existence d’un « patrimoine endormi », un peu oublié voir délaissé, à l’orée d’un moment de bascule vers une perte d’attractivité.

Sans parler des monuments, les interventions et travaux sur les immeubles ou maisons ont souvent été réalisés sans respect de leurs qualités intrinsèques. Néanmoins, les ABF savent lire une ville au-delà du « filtre » récent, et je peux vous assurer qu’à Pamiers perdure une solide base restant à exploiter pour rendre visible et reconnaissable le très fort atout patrimonial de la ville. Gardons à l’esprit qu’une collectivité qui s’inscrit dans cette démarche gagne sur au moins deux fronts : ses habitants bénéficient d’un cadre de vie contribuant à leur bien-être, son intérêt renforce sa position au sein du territoire.

Les principes de conservation ou de réhabilitation ont-ils évolué ?

Concernant les monuments appaméens, leur entretien est mené avec mon service. Sur la conservation ou restauration la DRAC-CRMH (direction régionale des affaires culturelles – conservation régionale des monument historiques) vient également en soutien.

Concernant le patrimoine non monument historique, les appaméens sont directement en lien avec mon service. Nous instruisons les autorisations d’urbanisme (permis de construire, de démolir, modification de l’aspect extérieur des constructions existantes) des projets situés aux abords des monuments. Les principes de réhabilitation ont bien sûr évolué, en fonction de certaines nécessités. Par exemple, revenons 30 ans en arrière, peu d’ABF accordaient la pose de châssis de toit en centre historique. Aujourd’hui et en accompagnement de la densification des zones habitées, nous acceptons ces ouvrages tout en encadrant leur dimension, implantation et typologie afin de garantir l’aspect esthétique des toitures. En façade, nous privilégions des matériaux de qualité et respectueux de la tradition locale ainsi qu’une cohérence entre les éléments d’un projet et le bâti existant lorsque nous étudions une réhabilitation. Sur un projet neuf, nous regardons également l’impact du projet au-delà de sa seule composition; volumétrie, hauteur du gabarit, implantation sur la parcelle, etc. 

Les abords de monuments historiques sont une zone dite « servitude d’utilité publique », dans laquelle nous sommes consultés pour avis. Ce principe est constant depuis le milieu du XX° s.

N’oublions pas que l’ABF instruit les dossiers pour s’assurer du respect de l’intérêt public attaché au patrimoine, à l’architecture, au paysage naturel ou urbain, de la qualité des constructions et de leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant. Bien souvent, cet intérêt public est méconnu et peu compris.

En revanche tout le monde fait bien la différence entre une ville belle où « il fait bon vivre » et une autre peu plaisante. L’aspect patrimonial est un des maillons essentiels quant à l’attrait d’une ville, tant il peut en définir favorablement son identité.

Comment faites-vous quand il y a conflit entre la sauvegarde du passé, les besoins du présent et les projets du futur ?

 De prime abord, assurer une réflexion sur les enjeux présents permet bien souvent d’éviter « le conflit ». A contrario, ne pas analyser le contexte et s’empresser tout de go vers la première idée ou se laisser séduire par un projet « hors sujet » apporte inévitablement ce conflit.

Sur la sauvegarde du passé, je dirais qu’elle mérite effectivement qu’on s’y attarde car le bâti ancien recèle d’ingéniosité et d’adaptation à son environnement ; orientation des constructions par rapport aux vents dominants, ordonnancement des ouvertures en façade par rapport au besoin d’apport de lumière naturelle à l’intérieur, ventilation naturelle des pièces ou circulation traversantes, capacité hydrométrique des parois par un équilibre épaisseur-composition, utilisation de matériaux durables et en circuit court. Ces notions reviennent aujourd’hui dans les débats mais elles sont ancestrales.

Sur les besoins du présent, la loi « climat résilience » qui tend au « zéro artificialisation nette », donc à la densification des villes, a changé la donne et la question énergétique est au cœur des préoccupations. La course à la pose de panneaux photovoltaïques sur les toits de maison est en marche, mais l’erreur est souvent commise car peu se préoccupe de savoir si le bâti est bien isolé ou bien conçu. Les autres démarches dites de développement durable sont peu ou pas exploitées, d’autant plus que le photovoltaïque n’a rien de « durable » : ni sa composition, ni sa production, et son traitement en fin de vie reste aléatoire ou inexistant.

Par ailleurs, il manque une réflexion à plus grande échelle. Le besoin du présent pourrait aussi s’entendre par une mutualisation au niveau intercommunal de la production énergétique bénéficiant à un plus grand nombre, sous forme partagée. Les m² de toitures en zone commerciale hors espaces protégés, et qui pourraient recevoir des panneaux sans difficulté, sont bien supérieurs au m² cumulés des demandes de particuliers qui posent parfois des problèmes. Pourquoi ne pas les équiper pour le bien de tous ?

Plus généralement, je considère que la sauvegarde du passé n’est pas en contradiction avec les besoins du présent à partir du moment où un point d’équilibre sait être trouvé.  Il s’agit d’anticiper et de rester visionnaire sur l’avenir, les actions menées aujourd’hui à Pamiers porteront leurs fruits dans plusieurs années.

Ainsi les projets du futur trouveront tout naturellement leur place ; la question urbaine et la question patrimoniale sont deux sœurs jumelles que nous devons faire avancer main dans la main, dans un esprit de cohésion.